Kerning Queen

Par Marion Bisserier

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Issue N.19
Oct. 2020
Author : Marion Bisserier
Font: Good Girl
Printed in the margins of:
Cassochrome, Waregem [BE]
± 1000 copies

Résumé

Marion Bisserier réagit ironiquement au manque de représentation des femmes dans l’industrie typographique en saturant l’espace avec sa fonte: la Good Girl. Il faut dire que la revue La Perruque n’a jusqu’à maintenant pas été un exemple de parité des genres pour couvrir comme il se doit le paysage des pratiques typographiques contemporaines; la sortie de ce numéro amorce un programme de publication bien plus représentatif.

Le design typographique permet de produire du sens au-delà de ce qui est dit: dans les formes et leur rythme (ce qui est vu). Fascinée par cette puissance symbolique et suggestive, je n’arrivais pas à franchir le pas de dessiner ma propre fonte. Alors étudiante en graphisme au London College of Communication, j’étais intimidée par toutes ces références de typographes suisses des années cinquante que nous partageaient nos enseignant-e-s. Définir et appliquer un système rationnel, contraignant et rigoureux, ce n’était vraiment pas pour moi.

Pendant mon parcours, je découvris de nouvelles figures du design typographique et m’aperçut qu’il existait en réalité une variété de pratiques; des plus ascètes aux plus libérées. En revanche, il m’apparut évident que les femmes étaient sous-représentées dans ce domaine. En me penchant sur l’essai de Suzanne Deschamp dans Women In Graphic Design 1890-2012, j’appris par exemple que les femmes ne constituaient en moyenne que 14% des designers dans les conférences de typographie, malgré le fait qu’elles sont aussi nombreuses que les hommes dans les écoles [1]. Cet écart me frappa et me parut comme être un sujet parfait pour débuter mon premier projet de fonte.

Brueur, G. & Meer, J. (2012) Women in Graphic Design 1890-2012. Berlin: Jovis.
J’étais en revanche intéressée par l’idée de réclamer notre place dans la discipline, en temps que femmes, en trouvant des moyens formels d’occuper littéralement l’espace.

Dans mes premiers croquis, je voulais à tout prix éviter de réaliser une typo délicate – stéréotypée «féminine». J’étais en revanche intéressée par l’idée de réclamer notre place dans la discipline, en temps que femmes, en trouvant des moyens formels d’occuper littéralement l’espace. Au fil des expérimentations, je me suis rendu compte que le fait de réduire exagérément les contre-formes permettait aux lettres de saturer l’espace. Satisfaite par ce résultat, je continuais à développer cette fonte à la graisse démesurée.

Cet effet de saturation ajouté à la rondeur des caractères frôle intentionnellement le ridicule car il me semblait plus efficace de traiter le sujet du sexisme dans ce projet avec une légère dose d’humour plutôt qu’avec trop de gravité. L’aide précieuse des typographes Toshi Omagari et Nadine Chahine (Monotype), ainsi que de mon professeur Paul McNeil, m’a permis de canaliser ces drôles de contours en les rationalisant à l’aide d’un système applicable à la totalité des glyphes, dans un souci de cohérence. Je compris alors toute la portée de l’enseignement des systèmes rationnels du style typographique international et me voilà aujourd’hui réconciliée avec.

Pour présenter ce fonte grasse et décomplexée dans un spécimen, il fallu revenir au concept initial qui motive le caractère: déjouer les stéréotypes d’usages à propos des femmes typographes. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une police de caractère fonctionne à l’aide de stéréotypes [2]. Par exemple, dès que l’on devient accoutumé à un «r», on s’attend inévitablement à ce que les «n», «m» et «h» adoptent les mêmes formes. Pour retourner ces stéréotypes contre eux-mêmes, je me ré-approprie une foule de termes stigmatisants à l’égard des femmes et les accumule dans mon spécimen pour affirmer un second degré critique. Petit à petit, ce langage ironique devint le fil conducteur de mon projet (qui se déploie ici dans ce numéro de La Perruque) jusqu’à aboutir à son nom: Good Girl.

Notes

  1. Brueur, G. & Meer, J. (2012) Women in Graphic Design 1890-2012. Berlin: Jovis.

  2. Merci à Paul McNeil pour cette contribution à mon projet.

Font infos

Good Girl
Available for purchase on request, please contact Marion Bisserier.

About Marion Bisserier

Marion Bisserier is a London based designer who recently graduated from BA (Hons) Graphic and Media Design at the London College of Communication. She has a passion for typography and its potential to visually convey meaning beyond the language it primarily serves.

Links:
marionbisserier@hotmail.commarionbisserier.comInstagram

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